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Élise Enjalbert, aux couleurs de la sororité

Illustratrice aux traits colorés et engagés, Élise Enjalbert dessine les femmes. Les femmes qu’elle aime, celles qu’elle admire, les femmes puissantes, celles qui inspirent. Et lorsqu’elles n’existent pas, elle les réinvente avec grâce et une bonne dose d’audace.

De son art introspectif découle très naturellement un empowerment collectif « puisqu’on est toutes concernées par les mêmes injonctions ». Elle tire le portrait de Pomme, Camelia Jordana, Angèle, ces femmes qui portent leur voix pour fédérer les nouvelles générations. En 2020, elle dévoile le projet #Noussommes, série de portraits où la pluralité féminine est reine et sur lesquels elle appose les adjectifs fière, courageuse, culottée, combative, fougueuse, héroïque. Autant d’attributs que la société peine encore à féminiser. A Noël dernier, elle s’associe au concept store Sergeant Paper pour le projet « L’Art est à Nous » et réinvente quelques œuvres majeures du patrimoine. « Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard » de Jacques-Louis David devient une femme noire en pleine lutte pour la reconnaissance, « Les Trois Grâces » de Raffaello Sanzio ne se cantonnent plus à une « chair blanche porcelaine ».

Élise a 30 ans. Ce bel âge où l’on se sent plus confiante, se dit-on lorsqu’on entame cette rencontre. Parisienne d’adoption, Lilloise d’origine, elle s’empare du dessin dès l’enfance. Des petits personnages qu’elle dessine puis découpe, qu’elle enferme dans sa trousse et avec lesquels elle joue sur les bancs de l’école. Frustrée de n’avoir qu’une seule heure d’Arts Plastiques au collège, ses parents l’inscrivent alors à des cours le mercredi après-midi. Elle y développe une technique plus approfondie avant d’entamer un lycée en Arts Appliqués puis un DMA illustration. Elle enchaîne avec des études de graphiste « pour l’aspect sécurisant du métier de directrice artistique, mais ce n’était pas moi ». Illustratrice free-lance en trame de fond, elle tente tout de même l’aventure d’être directrice artistique en CDI pour une marque de vêtements. Résultat ? Deux burn-out en un an. « Le climax » se souvient-elle.

Deux ans se sont écoulés depuis qu’elle se consacre uniquement au dessin, comme un besoin viscéral pour son corps et son esprit. Son identité s’affirme et son histoire personnelle l’amène naturellement à mettre pleine lumière sur la place des femmes au sein de la société. Dans ses mises en scène réalistes et son travail libre autour des couleurs et des motifs plane l’esprit de Suzanne Valadon, celui d’Henri Matisse et des portraits d’Amedeo Modigliani. « On va pas non plus retirer le fait que Picasso avait quelques cordes à son arc » s’amuse-t-elle. Mais ce qui l’inspire le plus ne se trouve pas forcément dans les Arts picturaux. Elle nous parle alors de cinéma. Les films de Godard, Alejandro Jodorowsky, Eric Rohmer, Xavier Dolan : des mises en scène délicates, des jeux de lumière et une imagerie qui l’animent.

Elise Enjalbert s’est désormais lancé le défi de quitter sa vie parisienne pour sillonner les routes de France dans un van qu’elle aménagera comme un lieu de vie. Mais aussi comme atelier pour continuer d’explorer la femme à travers ses illustrations positives et rafraîchissantes. En attendant, on lui a demandé de nous décrypter 5 de ses œuvres.

SORORITÉ


« Les Présentes »
« C’est une oeuvre que j’ai faite dans la continuité des »baigneuses ». J’aimais l’idée de représenter plusieurs corps de femmes comme un tout, une sorte de cocoon constitué de différentes carnations, de morphologies, etc … Elle a été pensée en plein premier confinement, où il me semblait justement important de se sentir toutes réunies malgré les distanciations. »

MATERNITÉ

« Nana et Léon »
« Ici c’est l’exemple même d’un dessin que j’ai exulté en seulement 2 ou 3 heures, tellement sa charge affective est lourde. C’est en fait ma petite soeur et le fils de ma grande soeur, sur la ballade de la Chambre d’Amour à Anglet. Le dessin est tiré d’une photo prise un été, et que je trouve magnifique par sa simplicité, sa bienveillance et l’évidence de la présence de chacun pour l’autre. J’ai été émue à le dessiner, émue de l’offrir à ma petite soeur. C’est pour ce genre d’instant fort et criant de vérité que je dessine. »

EGALITÉ


« Deux Amies »
« De mémoire, c’est le premier dessin où je me suis dit, en le réalisant « mais pourquoi toujours représenter des femmes blanches ? » Je ne travaillais pas encore la mixité à cette époque-là, par automatisme car je suis issue d’une culture blanche privilégiée. Mon envie de représenter la sororité était déjà là, mais c’est à ce moment qu’il m’est paru évident qu’il ne pouvait pas y avoir de sororité sans inclusivité. Et autant en terme esthétique que symbolique, la réunion de différentes carnations de peaux rend toujours l’image plus forte. »

BODYPOSITIVITÉ

« Le dessin est inspiré d’une photo de la modèle Charlie Max. Je la suis depuis un moment sur Instagram et son corps est la perfection de l’imperfection. Elle a une liberté et une conscience de son corps qui la rend gracieuse et charismatique sur n’importe quelle photo, qu’elle soit en studio ou prise sur le vif, conventionnelle ou subversive. C’est le modèle qui m’inspire le plus sur les réseaux. »

LA SEXUALITÉ

« Lors de mes recherches pour la série « L’Art est à Nous » j’ai été subjuguée d’apprendre que ce tableau « le baiser – le lit »  de Toulouse-Lautrec était en réalité la mise en scène d’une demande par l’artiste d’un rapport lesbien entre 2 prostituées. L’imagerie collective a attribué à ce tableau tous les codes du romantisme hétéro-normé alors qu’il s’agit en vérité d’un cas d’école d’objectivation du fantasme lesbien par un artiste homme hétérosexuel. Pour moi, c’était évident de remettre l’amour de deux femmes au coeur du sujet, et non la représentation fantasmée qu’en a fait l’artiste. »

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